CULTURE ET MYSTÈRE, Jean Daniélou, 2010,Ad Solem
Introduction
Notre époque a perdu le sens du mystère. Le rationalisme et le scientisme, en voulant éliminer du monde et de l'homme tout ce qui échappe aux prises de la raison, leur ont donné la sinistre apparence d'un temple désaffecté. Mais on ne prive pas impunément l'âme humaine de ces zones profondes où elle puise ses énergies vitales. L'excès du rationalisme a amené une réaction violente. Mais cette réaction peut venir de deux sources différentes, des forces infra-rationnelles de la vie instinctive et de l'univers supra-rationnel de la transcendance divine. La première des études qui composent ce volume essaie de montrer comment le génie français, par là même qu'il répugne à l'obscurité, s'il est plus menacé que d'autres par le rationalisme, est plus apte aussi, là où il s'ouvre au mystère, à en discerner les formes authentiques.
Le sens du mystère, qui est celui de la nostalgie d'un au-delà de l'apparence matérielle des choses, apparaît avant tout dans la pensée contemporaine comme nostalgie du Paradis, La seconde étude examine les différentes formes que revêt cette nostalgie. La poésie d'abord apparaît comme un effort pour restituer par le miracle de l'art le monde totalement révolu de l'enfance. Ceci apparaît chez un Proust, un Rilke, un Eluard. Elle est ainsi une sorte de désespoir, car le mystère lui apparaît comme un passé irrémédiablement perdu. A cette attitude tournée vers le passé s'oppose l'attitude éthique, qui forge le mythe d'un Paradis futur vers l'instauration duquel les forces humaines devront être tendues. Il y a ainsi à notre époque une mythologie politique à côté de la mythologie poétique. Robert Kanters, dans son petit livre sur l'avenir de la religion, y voit la forme où les hommes cherchent aujourd'hui à nourrir leur soif de mystère.
Mais, situé à ce niveau, le sens du mystère est nécessairement déçu, car il relève d'un ordre où n'atteignent pas les réalisations de la politique. Il apparaît alors que ce n'est ni dans le désespoir de la poésie, ni dans le naïf optimisme du mouvement historique que l'homme peut trouver le salut, mais dans la reconnaissance de son état de créature, de son indigence foncière, qui l'ouvre au monde de la transcendance. Car le mystère véritable n'est ni un passé révolu, ni un avenir inaccessible, il est la présence d'un au-delà, mais dont l'homme ne peut se rendre maître par lui-même, parce que cet au-delà est le mystère d'un Dieu transcendant et personnel qui échappe aux prises de l'orgueil, mais qui se communique aux humbles. Une dernière étude introduit à ce mystère de la transcendance de Dieu, que notre monde méconnaît et qui est cependant le vrai mystère dont il a besoin.
Des trois études qui composent ce volume, la première a paru dans Esprit (mai 1941), la deuxième et la troisième dans Les Cahiers de Neuilly (sixième et treizième Cahiers).
Introduction
Notre époque a perdu le sens du mystère. Le rationalisme et le scientisme, en voulant éliminer du monde et de l'homme tout ce qui échappe aux prises de la raison, leur ont donné la sinistre apparence d'un temple désaffecté. Mais on ne prive pas impunément l'âme humaine de ces zones profondes où elle puise ses énergies vitales. L'excès du rationalisme a amené une réaction violente. Mais cette réaction peut venir de deux sources différentes, des forces infra-rationnelles de la vie instinctive et de l'univers supra-rationnel de la transcendance divine. La première des études qui composent ce volume essaie de montrer comment le génie français, par là même qu'il répugne à l'obscurité, s'il est plus menacé que d'autres par le rationalisme, est plus apte aussi, là où il s'ouvre au mystère, à en discerner les formes authentiques.
Le sens du mystère, qui est celui de la nostalgie d'un au-delà de l'apparence matérielle des choses, apparaît avant tout dans la pensée contemporaine comme nostalgie du Paradis, La seconde étude examine les différentes formes que revêt cette nostalgie. La poésie d'abord apparaît comme un effort pour restituer par le miracle de l'art le monde totalement révolu de l'enfance. Ceci apparaît chez un Proust, un Rilke, un Eluard. Elle est ainsi une sorte de désespoir, car le mystère lui apparaît comme un passé irrémédiablement perdu. A cette attitude tournée vers le passé s'oppose l'attitude éthique, qui forge le mythe d'un Paradis futur vers l'instauration duquel les forces humaines devront être tendues. Il y a ainsi à notre époque une mythologie politique à côté de la mythologie poétique. Robert Kanters, dans son petit livre sur l'avenir de la religion, y voit la forme où les hommes cherchent aujourd'hui à nourrir leur soif de mystère.
Mais, situé à ce niveau, le sens du mystère est nécessairement déçu, car il relève d'un ordre où n'atteignent pas les réalisations de la politique. Il apparaît alors que ce n'est ni dans le désespoir de la poésie, ni dans le naïf optimisme du mouvement historique que l'homme peut trouver le salut, mais dans la reconnaissance de son état de créature, de son indigence foncière, qui l'ouvre au monde de la transcendance. Car le mystère véritable n'est ni un passé révolu, ni un avenir inaccessible, il est la présence d'un au-delà, mais dont l'homme ne peut se rendre maître par lui-même, parce que cet au-delà est le mystère d'un Dieu transcendant et personnel qui échappe aux prises de l'orgueil, mais qui se communique aux humbles. Une dernière étude introduit à ce mystère de la transcendance de Dieu, que notre monde méconnaît et qui est cependant le vrai mystère dont il a besoin.
Des trois études qui composent ce volume, la première a paru dans Esprit (mai 1941), la deuxième et la troisième dans Les Cahiers de Neuilly (sixième et treizième Cahiers).