[...] Jean Gimpel, historien des sciences et des techniques, a publié en 1992 un livre au titre provocant : La Fin de l'avenir. Le déclin technologique et la crise de l'Occident (Le Seuil). Paul Valéry disait poétiquement: «Nous autres civilisations savons désormais que nous sommes mortelles.» [...] Gimpel cite le grand historien Ibn Khaldoun qui, au XIVe siècle, est témoin du recul de la société arabe-islamique, au profit d'une autre puissance qui émerge au nord de la Méditerranée : l'Occident. «On dépense au-delà des traitements, le revenu devient insuffisant, les pauvres meurent d'indigence, les riches dilapident leurs émoluments en dépenses de luxe, et cet état des choses empire de génération en génération, jusqu'à ce que les traitements deviennent insuffisants. On commence alors à sentir les affres du besoin. Comme les besoins du gouvernement se multiplient, les impôts s'élèvent et pèsent lourdement sur le peuple. S'attaquer aux hommes en s'emparant de leur argent, c'est leur ôter la volonté de travailler pour acquérir davantage, car ils voient qu'à la fin on ne leur laisse plus rien. Le désordre se met dans les affaires, et les hommes se dispersent pour aller chercher dans d'autres pays les moyens d'existence qu'ils ne trouvent plus dans le leur. La population de l'empire diminue, les villages restent sans habitants, les villes tombent en ruine (1).» [...] En tant qu'historien, Gimpel nous montre que l'Empire romain du IVe siècle, le califat arabe du XIVe siècle ou l'Empire byzantin au XVe siècle sont tous tombés, victimes de la même erreur : un excès de supériorité et de confiance en soi généré par les réussites passées qui amène cette perte de l'esprit pionnier, de l'innovation, laquelle entraîne à son tour une stagnation, puis une déchéance. Selon Gimpel, l'Occident est en train d'entrer dans un tel processus. [...]
(1). La Fin de l'avenir, ouvrage cité, p. 179.
La science prise en otage, Jean Staune, Presse de la Renaissance.